PhotoEspaña, chemin des dames
Photo . Une exposition clé du festival madrilène réunit 21 artistes autour de l’imagerie féministe des années 70.
«Même si je ne les ai pas toutes connues, ce sont mes amies.» Sur l’ardoise magique qui lui sert à communiquer - elle ne peut plus parler -, Alexis Hunter écrit ces mots au feutre bleu. Elle désigne ainsi les vingt et une artistes rassemblées pour «Mujer. La vanguardia feminista de los años 70», de Helena Almeida, née à Lisbonne en 1943, à Nil Yalter, née au Caire en 1938. C’est l’une des expositions phares de PhotoEspaña, proposée par Gabriele Schor, via la collection privée Sammlung Verbund, à Vienne.
Exorcisme. Aujourd’hui, Alexis Hunter est partagée entre joie et mélancolie, «certaines artistes n’ont pas eu leur public, elles ont travaillé en silence pendant quarante ans». De cette Néo-Zélandaise installée à Londres sont dévoilées trois œuvres, dont l’une agrémente sa page Facebook, une allumette qui enflamme un bout de papier. En fait, la dernière image d’une planche-contact de 27 poses, qu’elle a noircie du début à la fin, rendant progressivement invisible un Apollon en érection. Exorcisme contre le voyeurisme ? «De l’humour et de la violence, note aussitôt l’artiste. A cette époque si excitante, l’après-Mai 68, nous voulions combattre l’autorité, celle des hommes, comme celle qui hiérarchisait la société. Ce combat, je l’ai encore en tête.» Pour Alexis Hunter, il est important de «montrer son travail n’importe où, même s’il est interdit ou très critiqué, regardez les jeunes féministes arabes, elles ne baissent pas les bras». En son temps, elle a barbouillé la virilité à main nue, y compris celle de la publicité, riche en stéréotypes, comme le prouve la couverture de son catalogue, Radical Feminism in the 70’s, édité par la Norwich Gallery. mehr
Puzzle. Difficile de la relier aux autres artistes présentées tant leurs identités, leurs géographies intimes et leurs convictions diffèrent. Point commun : la temporalité, celle des seventies, donc, et le médium, photographie ou vidéo, appréhendé plus ou moins frontalement, parfois comme une impasse. C’est cette résonance qui fait sens pour le spectateur, chacun trouvant, ici et là, une manière de penser - ou d’agir - qui lui est proche. Nous sommes au pays des latin lovers, dans la ville natale de Julio Iglesias, et l’exposition se veut grand public. Il s’agit, et l’accrochage le confirme, d’une incitation à découvrir des exigences individuelles, et non un puzzle qui aboutirait à une revendication collective. D’une certaine façon, ce retour sur un passé lointain, en quelques morceaux choisis, paraît presque léger.
Il y a une évidence à contempler le chemin parcouru, et de l’admiration pour celles qui s’y sont engagées, très jeunes, voluptueusement. Premières de cordée, VALIE EXPORT (1), femme majuscule, qui enroule son corps sur des architectures herculéennes et parvient à changer la verticalité d’une ville, tout en ciblant l’histoire de la rue et son lot de clichés, trottoirs, etc.
Sanja Ivekovic, qui retrace en quelques photographies l’inauguration de son exposition, «Opening at the Galleria Tommaseo» (1977), où, bouche scotchée, elle accueille ses visiteurs pendant que les battements de son cœur résonnent dans la salle. Ana Mendieta (1948-1985), délicatement belle, et son visage grimaçant plaqué sur une vitre, tel un insecte enfermé à vie(Glass on Body Imprints).
Tout n’est pas noir ou blanc, l’agitation règne et beaucoup de fantaisie émane de cette exposition de groupe, sans crucifixion ni martyre. On ne s’ennuie pas avec ces dames, même quand le discours paraît limpide, directement enchaîné à son contexte. L’Autrichienne Birgit Jürgenssen (ph679) (1949-2003) a imaginé une femme-objet enfin parfaite. Un rêve de macho. Chance inouïe, la voici en vrai sur une photographie (ph1578), arborant un tablier de cuisinière 100% pratique, comme une grossesse micro-ondes . Martha Wilson, elle, endosse les rôles de composition, de la femme d’affaires à celle d’intérieur, bien avant les mascarades de sa compatriote Cindy Sherman, également accrochée sur les cimaises et qui semble tout à coup moins originale.
NOMBRIL. Non loin d’elles, Nil Yalter met le feu aux poudres, grâce à une vidéo inattendue, la Femme sans tête ou la Danse du ventre. Pendant vingt-quatre minutes, sur une musique orientale, en commençant par le nombril, elle inscrit sur son corps un extrait du texte de René Nelli, Erotique et Civilisations. Il y est question de «la femme véritable, à la fois convexe et concave», de «la haine du clitoris […] et de l’horreur ancestrale éprouvée par les hommes pour la composante virile et naturelle de la femme». Le droit au plaisir, toujours d’actualité.
(1) Le catalogue VALIE EXPORT, paru en 2003 aux éditions de l’Œil, est disponible.